Le temps où nous chantions

Richard Powers

Entrer dans le volumineux roman de Richard Powers « Le temps où nous chantions » (paru en 2002 dans sa version originale), c’est parcourir cinquante années d’Histoire des États-Unis et se passionner pour le destin d’une famille en proie aux blocages d’une société qui n’arrive pas à guérir d’un passé douloureux. C’est aussi admirer le talent d’un auteur qui mêle dans son récit des développements sur l’art lyrique et des réflexions scientifiques de haut vol sur le temps qui passe.

La famille Strom est au cœur du récit. Elle est peu conventionnelle, voire scandaleuse pour certains. David, juif allemand, épouse, dans les années 40, Délia, une afro-américaine. Trois enfants naissent : Jonah, Joseph et Ruth. La passion de la musique les unit tous. Ensemble, autour du piano, ils se sentent protégés. La joie qu’apportent les moments de chant en famille fait oublier que rien n’est simple, que le racisme est au bas de la porte, profondément installé, impossible à éviter. Le roman rend très bien compte de cette obsession malsaine, malheureusement encore vivace de nos jours, pour la couleur de peau, pour les questions de « race ». Les parents font ce qu’ils peuvent pour protéger les enfants de la violence latente qui gangrène la société. Mais le drame survient et fait exploser la bulle.

Les enfants du couple ont des parcours très différents. Jonah et Joseph accèdent à des écoles prestigieuses, font carrière dans la musique. C’est un art qui leur permet d’accéder à l’intemporel, à l’immuable. Leurs racines européennes sont là, dans le répertoire qu’ils maîtrisent de façon magistrale. Jonah touche au génie, il subjugue. Joseph l’accompagne au piano, se met à son service. Leur relation est ambiguë.

Ruth, elle, est en rupture. Elle se révolte contre les discriminations, milite au sein du mouvement des Black Panthers, se met en marge. Elle rejette aussi son père. Petit à petit, les membres de la famille Strom deviennent des étrangers les uns pour les autres. La décision initiale des parents de ne pas accepter les diktats raciaux, de faire le choix audacieux du métissage, pèsent lourd sur le destin de chacun des personnages. « Le temps où nous chantions » offre ainsi une très belle réflexion sur l’identité, sur les racines. Dans un pays comme les États-Unis, et sans doute encore plus qu’ailleurs, il n’est pas simple d’être métis, de trouver sa place. Toujours l’obligation de choisir un camp, d’être pour ou contre. Mais l’amour, l’amitié, la joie d’être ensemble sont-ils compatibles avec toutes ces limites ?

La société américaine avance sur la question du racisme, sûrement trop lentement au regard des trop nombreuses bavures policières que dénonce le mouvement Black Lives Matters. Le roman témoigne de ce va-et-vient permanent entre d’enthousiasmants progrès et de terribles reculs. La prose magnifique de Richard Powers rend palpable la complexité de ce mouvement inexorable vers plus de liberté, plus de fraternité.

« Dans mes rêves éveillés, les carapaces à l’intérieur desquelles nous étions enfermés se craquelaient comme des chrysalides, et le liquide que nous étions remontait à l’air libre, comme la pluie à l’envers. »

2 commentaires sur “Le temps où nous chantions

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