
Du 9 juin au 2 juillet, dans un joli théâtre de Pantin, se joue « La Mouette » d’Anton Tchekhov. Nina, Tréplev, Arkadina, Sorine, Trigorine, Chamraïev, Paulina, Dorn, Macha, Medvedenko et Yakov vous attendent… Je suis le maître d’école.

Du 9 juin au 2 juillet, dans un joli théâtre de Pantin, se joue « La Mouette » d’Anton Tchekhov. Nina, Tréplev, Arkadina, Sorine, Trigorine, Chamraïev, Paulina, Dorn, Macha, Medvedenko et Yakov vous attendent… Je suis le maître d’école.
Mon inconnue
J’ai rencontré Maria un lundi de novembre, un matin. C’était il y a quelques années déjà. Je la revois marcher à vive allure à la sortie du métro Gambetta se dirigeant vers le café où nous nous étions donnés rendez-vous. Mon regard s’était attardé sur les détails de sa tenue : son long manteau style écossais, son chapeau de feutre couleur noire, ses chaussures vertes… Sa démarche aussi avait attiré mon attention. Je notais un certain déséquilibre, une forme de gaucherie qui me faisait sourire intérieurement. J’étais séduit par cette inconnue qui allait me donner mon premier cours de russe. Nous avons fait connaissance au fil de nos séances hebdomadaires. Maria avait vécu à Saint-Pétersbourg de nombreuses années en tant que guide conférencière. Son retour à Paris était sans doute temporaire.
Plus tard, je découvre son appartement, et je m’y sens bien. J’aime la simplicité de son intérieur où les livres sont partout. Je suis fasciné par sa connaissance des grands artistes russes. Nous avons Tolstoï en commun. Anna Karénine, La Guerre et la Paix, La mort d’Ivan Ilitch… Nous en parlons avec passion.
Bien plus tard encore, à Moscou sur la Place Rouge, je la serre contre moi. Dans cette nouvelle langue qui m’est désormais si chère, je lui glisse à l’oreille : qui es-tu ?
Si vous avez la chance d’avoir une salle de cinéma près de chez vous qui programme « Sur l’Adamant » ou « The Quiet Girl », allez-y ! Il est peut-être trop tard, mais je vais en dire deux mots quand même.
Le premier film est un documentaire, le deuxième une oeuvre de fiction. L’Adamant désigne un lieu réel (une péniche parisienne créée spécialement pour accueillir des patients qui souffrent de maladies psychiques), la fille calme (ou tranquille) est Cáit, jeune irlandaise négligée par ses parents envoyée, le temps d’un été, vivre auprès de parents éloignés…
La délicatesse est un mot qui convient bien à ces deux films. Nicolas Philibert, le réalisateur du documentaire, filme avec beaucoup de tendresse les patients qui font vivre ce lieu si particulier qu’est l’Adamant. La galerie de « personnages » est riche et intéressante. Le spectateur sourit parfois mais est surtout très touché. Cela fait beaucoup de bien de voir et d’entendre ces personnes en décalage avec les normes sociales habituelles. Ces gens, qu’on côtoie peu voire jamais dans la vie de tous les jours, évoquent leur quotidien et parlent de la vie en général avec une forme de poésie unique. C’est parfois déroutant mais aussi instructif. Si éloignés et pourtant si proches de nous, ces femmes et ces hommes parlent sans filtre, avec le coeur.
Le film « The Quiet Girl » met aussi en avant un personnage passionnant. La petite Cáit est, elle aussi, cabossée par la vie. Elle fait partie d’une famille nombreuse et ses parents ont bien du mal à s’en sortir. Le manque de soin, de tendresse, d’écoute fait des ravages. Elle se mûre dans le silence. Une chance lui est offerte : s’extraire du milieu familial pendant deux mois et vivre différemment. Grâce aux soins de parents de substitution remplis d’amour et d’attention, quelque chose en elle se débloque et s’épanouit enfin. La performance de l’actrice principale, Catherine Clich, est impressionnante. Son regard et son sourire timide expriment tellement de choses.
Autre film que je souhaite voir absolument : Burning days (moi qui adore le cinéma turc, notamment tous les films de Nuri Bilge Ceylan)
Maggie et Tony
A Angkor, un homme seul déambule au milieu des ruines. Il s’arrête, a trouvé ce qu’il est venu chercher. Debout devant un immense vestige khmer, il glisse dans le creux d’une pierre l’histoire qu’il vient de vivre. Cet amour impossible, ce désir inassouvi, il s’en délivre par des mots chuchotés. Une musique entêtante enrobe avec douceur cette scène ultime… Noir, le film est fini.
Pendant tout le temps du générique, Antoine savoure cette sensation d’extase que suscite la beauté. Ce qu’il vient de vivre, il le sait déjà, n’a pas de précédents dans sa jeune existence de cinéphile. Il a du mal à quitter la salle, son corps est comme empesé. Pendant deux heures, il s’est senti chez lui…
Dès le début du film, il a eu comme un pressentiment. Le visage de l’héroïne, jouée par Maggie Cheung, le fascine. Quelque chose dans ses yeux, d’inquiet, de triste même, le capte d’emblée. Que dire de sa robe, sublime, de sa coiffure, impeccable ? Son partenaire de jeu, Tony Leung, est lui aussi beau, élégant, énigmatique. Les deux protagonistes éblouissent l’écran tant ils sont mis en valeur par la caméra de Wong Kar-waï. Dans le Hong-Kong des années 60 sublimé par des décors et des lumières splendides, les deux personnages se croisent et se recroisent, leurs corps se frôlent au hasard de rencontres fortuites. Leurs regards disent tout de ce qu’ils s’interdisent de dire. Esseulés car délaissés par leurs conjoints respectifs, ils se reconnaissent. Leur mélancolie, leur solitude mais aussi leurs hésitations sont déchirantes. Un morceau de violoncelle lancinant accompagne à plusieurs moments du film leur valse amoureuse. Il parle mieux de leurs émois cachés qu’un long dialogue.
« In The Mood For Love » est un choc esthétique pour Antoine. Comme les héros du film, il tombe amoureux… du cinéma. Il a vingt ans, va dans les salles obscures deux ou trois fois par semaine. Sa nouvelle liberté d’étudiant lui permet d’assouvir enfin son goût pour les grands films trop longtemps refréné. Pour la première fois sans doute, il réalise que la profondeur d’un récit et la beauté formelle peuvent magnifiquement se conjuguer et produire chez le spectateur des émotions très fortes. Les regards de Maggie et Tony l’accompagneront longtemps.
Plus de vingt ans après ce premier visionnage, Antoine se réjouit de revoir en salle ce film si marquant. Les années ont passé. Amour impossible, désir inassouvi : ces thématiques auront-elles aujourd’hui le même écho dans son cœur ? Les lumières s’éteignent. Antoine est de retour à Hong Kong, chez lui.
Film de Leo McCarey
avec Irene Dunne, Charles Boyer…
1939
Quel plaisir de découvrir, un peu par hasard, un très beau film américain de 1939 dont le titre original est « Love affair ». Elle, c’est Terry, lui c’est Michel. Ils se rencontrent à bord d’un transatlantique, lieu ô combien romantique. C’est un lieu transitoire, hors du temps… Ni l’un ni l’autre ne sont libres car à New York les attendent celui et celle qu’ils doivent épouser. Pourtant, une attirance réciproque naît et, malgré la pudeur et le sens du devoir qui animent les deux personnages, elle ne fait que croître tout au long du voyage qui dure une dizaine de jours. A l’occasion d’une escale sur l’île de Madère, Terry fait la rencontre de la grand-mère de Michel et découvre de façon plus intime la vie de ce bel inconnu…
Le film possède un charme énorme. Le scénario est plein de surprises car une fois arrivés à New York, les deux personnages sont confrontés à plusieurs difficultés. Un deuxième film commence… Quant aux deux interprètes principaux, Irene Dunne et Charles Boyer, ils sont irrésistibles. Leur jeu est délicat, subtil. Ils savent mettre une petite dose d’humour, leurs yeux frisent et expriment beaucoup de choses.
Un vrai coup de coeur !
Le film a fait l’objet d’un remake dans les années 50, avec Cary Grant et Deborah Kerr, toujours réalisé par Leo McCarey !
L’odeur du Pousse-Mousse
Enfant, j’aimais agripper ses gros doigts. C’était un contact rassurant. Ma petite main empoignait l’index ou le pouce de mon père, dans la rue, au supermarché. Une proximité simple, directe.
Avant de passer à table, le rituel d’aller se laver les mains dans la salle de bains. Ma joie d’enfant était de faire sentir l’odeur du Pousse-Mousse en tendant mes bras. Mon père plongeait son nez dans mes mains et approuvait d’un « Hmm, ça sent bon ! ». Cette validation me ravissait, j’avais le droit de m’asseoir et de commencer à manger.
Au moment du coucher, emmitouflé sous les draps et les couvertures, je me souviens de sa présence et de son sourire. Il avait l’habitude de poser la main sur le lit au niveau de mes pieds et il faisait mine de constater que j’avais encore grandi par rapport à la veille. Je le croyais. J’avais l’impression qu’il en était fier.
Les contacts physiques avec mon père ont été si rares que je m’accroche, avec une pointe tristesse, à ces souvenirs d’enfance lointains. La distance et la froideur ont pris toute la place, les quelques moments de tendresse ont disparu pour ne plus jamais exister. Les gestes, tout comme les mots, se sont bloqués, comme empêchés. Une main sur l’épaule, une main dans les cheveux, des bras qui vous serrent aux moments des gros chagrins… Attentions simples, sans doute anodines, devenues impossibles. Ne pas se dévoiler, ne pas s’exposer à des émotions trop vives… Contrôler ces émotions, en avoir l’illusion. Lourd héritage d’une famille où le mot même d’amour n’est jamais prononcé. Une pudeur immense. Trop immense sans doute. Sclérosante.
Dois-je regretter ce qui n’a pas pu s’accomplir ? Je ressens encore, parfois, douloureusement le manque. En faire le reproche à mon père ? Il a lui-même si peu reçu de gestes tendres. Je préfère me souvenir de ceux qu’il m’a donnés, et oublier.
Roman, nouvelles, essai, expo : envie de partager quelques découvertes enthousiasmantes faites récemment…
« Les Hauts de Hurle-vent » (« Wuthering heights ») d’Emily Brontë est une lecture qui secoue. Les personnages de ce roman sont inoubliables. Leurs sentiments sont exacerbés ; tous, pratiquement, frôlent la folie. Une grande violence parcourt le livre de bout en bout. On pense aux tragédies shakespeariennes, à leur lyrisme, à leur noirceur.
Les nouvelles et contes de l’écrivain argentin Julio Cortázar sont une autre très belle découverte. La collection Quarto chez Gallimard permet de plonger dans l’oeuvre foisonnante de cet auteur. Elle s’inscrit dans une tradition, celle du réalisme magique. Ses histoires sont inquiétantes, mystérieuses, pleine d’invention, magnifiquement construites.
Le livre de Jean-Christophe Bailly, malicieusement intitulé « Paris quand même » est un régal. L’auteur partage sa vision de la capitale, ville qu’il adore par dessus tout. Il promène le lecteur dans les quartiers qu’il connaît bien, parfois méconnus du grand public, constate les évolutions récentes en terme d’architecture, d’aménagement… Quelques coups de griffes parsèment le livre (à l’encontre de la mairie, d’hommes d’affaires connus qui s’accaparent le patrimoine) mais cet essai très personnel est surtout, à mes yeux, une déclaration d’amour érudite et passionnée qui permet de voir Paris sous un autre oeil.
Christian Bobin est un auteur qu’il faut lire et relire. « Ressusciter » contient la dose habituelle de petits miracles littéraires. Par des mots simples, Bobin touche en plein coeur car il fait inlassablement l’éloge de la beauté, de la poésie, du dépouillement… Etre attentif aux choses, aux autres, se débarrasser du superflu pour s’ouvrir à la vie véritable. Ses livres sont courts mais tellement remplis !
Une très belle exposition a lieu en ce moment à la Maison Européenne de la Photographie (jusqu’au 21 mai 2023). Elle est consacrée à la photographe sud-africaine Zanele Muholi. Militante, elle réalise depuis des années de nombreux clichés qui documentent la vie des personnes noires et LGBTQIA+ de son pays. La rétrospective est passionnante.
Deux livres, sortis tout récemment, me font très envie. Les nouveaux romans de Bret Easton Ellis « Les éclats » et de Bernhard Schlink « La petite-fille ».
Bret Easton Ellis est un auteur incontournable de la littérature contemporaine. « Moins que zéro », « Lunar Park », « American psycho » sont quasiment devenus des classiques. Un nouveau roman de l’écrivain californien est forcément un événement. Ses ouvrages fascinent, irritent, révulsent… Sans être un spécialiste, je crois que cet écrivain a su capter quelque chose du mal qui ronge les sociétés occidentales. Ses thèmes favoris : la vacuité, la violence, l’égoïsme… Son dernier livre « Les éclats » met en scène un personnage du nom de Bret, qui au début des années 80, se passionne pour l’écriture. Il rédige un roman intitulé « Moins que zéro »… Comme dans « Lunar Park », l’auteur semble jouer la carte de la vraie-fausse autobiographie. Cela m’intrigue…
« Le liseur » de Bernhard Shlink est un roman magnifique dont je conseille vivement la lecture. J’ai entendu beaucoup de bien de son nouveau livre « La petite-fille ». Kaspar est libraire à Berlin. Il découvre tardivement (suite au décès de son épouse) qu’une partie de sa famille lui est inconnue. En effet, sa femme avait abandonné un enfant en RDA avant de passer à l’ouest. Il tente de renouer le fil et fait ainsi la connaissance de sa fille Svenga et de sa petite fille Sigrund. Difficile de recréer un lien, d’autant plus que le fossé culturel et idéologique est immense… J’imagine que l’auteur explore les blessures et fractures de l’histoire contemporaine de l’Allemagne comme il l’avait fait dans « Le Liseur ». J’espère trouver le temps de me plonger dans ce livre très bientôt.
Les commentaires de celles et ceux qui ont lu l’un ou l’autre de ces livres sont les bienvenus !
Femme libre
Au cœur de la nuit, un corps de femme s’immerge dans l’eau glacée d’une rivière, se laisse couler. Les yeux grand ouverts, elle observe avec acuité les pénombres qui l’accueillent. Elle quitte avec détermination le monde des humains qui l’oppresse et se dirige vers un autre. Un monde qu’elle a choisi où la souffrance n’existe pas, où rien ni personne ne peut l’atteindre, la contraindre. La surface de l’eau s’éloigne. Sans peur, elle s’enfonce et trouve ce qu’elle cherche depuis si longtemps : la paix et l’oubli.
Arnaud se réveille brusquement, il est 4 heures du matin. Il était au fond de l’eau. Ses yeux à elle, c’était ses yeux à lui. Il a senti dans son corps cette légèreté nouvelle. Il se dit que cette femme va connaître une autre vie, une vie heureuse, libre. Il l’imagine en sirène fière, farouche, puissante. Il sourit car il l’imagine en reine des profondeurs, en prêtresse respectée régnant sur un univers mystérieux et silencieux, vaste et éternel. Elle est libérée de ses chaînes, de sa vie de terrienne dans laquelle plus rien n’avait de sens. Il est heureux pour elle, la trouve belle, visualise sa chevelure brune ondoyant dans l’eau, sa toute nouvelle queue faite d’écailles argentées. Il voit ses beaux yeux verts le regarder avec tendresse et malice. Le rêve continue, éveillé désormais. Un dialogue s’instaure. Il lit sur ses lèvres : « Ma place est ici. Pas la tienne ».
Arnaud s’arrache de son lit. Une nouvelle journée commence.
Deux lectures, très différentes, font mon bonheur en ce moment. La correspondance d’Anton Tchekhov réunie dans un très bel ouvrage joliment intitulé « Vivre de mes rêves. Lettres d’une vie » (Editions Robert Laffont) et une biographie (ou essai biographique) du Caravage par Yannick Haenel (Editions Fayard).
Anton Tchekhov écrivit un nombre incalculable de lettres tout au long de sa vie. Il s’adresse à sa famille, à ses amis, à ses contacts professionnels… Le lecteur découvre mille et un détails de la vie du jeune médecin dont la vocation littéraire s’affirme d’années en années. Tchekhov est un homme drôle, facétieux, moqueur, exigeant… C’est aussi la vie quotidienne en Russie qui est décrite en filigrane : les séjours à la campagne, les voyages en train, les rites religieux,… L’univers de l’écrivain, qui est passé à la postérité, transparaît dans quasiment chaque lettre. On y découvre aussi la description de nombreux personnages hauts en couleur qui ont sûrement été une source d’inspiration pour le dramaturge.
Yannick Haenel est un auteur que j’adore. Le livre « La solitude Caravage », qu’il a fait paraître en 2019, est un petit bijou. Il y décrit sa passion dévorante pour l’œuvre du grand peintre italien. Cette passion naît à l’adolescence, période pendant laquelle le jeune Yannick se morfond dans un pensionnat sinistre. Il se réfugie dans les livres et découvre un jour la beauté vénéneuse d’une femme peinte au XVIè siècle par Le Caravage. Il s’agit d’une figure biblique, celle de Judith. Cette image l’ensorcelle, lui fait connaître ses premiers émois érotiques. Dans de courts et passionnants chapitres, l’auteur tente de percer les secrets du génie. Yannick Haenel sait merveilleusement partager l’amour qu’il porte à ce peintre en quête d’absolu. La vie incroyablement romanesque du Caravage (plusieurs fois emprisonné, courtisé par les plus grands princes de son époque…) est passionnante mais c’est surtout la force de son art qui est mise en avant. L’auteur nous offre une réflexion captivante sur l’acte de création.