La Mouette

Du 9 juin au 2 juillet, dans un joli théâtre de Pantin, se joue « La Mouette » d’Anton Tchekhov. Nina, Tréplev, Arkadina, Sorine, Trigorine, Chamraïev, Paulina, Dorn, Macha, Medvedenko et Yakov vous attendent… Je suis le maître d’école.

Anton Tchekhov photographié par son frère Alexandre en 1891

Rencontre avec une illuminée

Spectacle écrit et interprété François de Brauer

A l’affiche du Théâtre 13 de Paris du 10 au 21 janvier 2022

Impressionnant. François de Brauer est un comédien impressionnant. Dans son nouveau spectacle « Rencontre avec une illuminée » , il déploie une palette de jeu qui force l’admiration. Avec une vivacité sans pareille, il est capable de faire dialoguer plusieurs personnages dans des scènes hilarantes. Par la voix et par le corps, il passe, en une fraction de seconde, d’une incarnation à une autre. On pense à Jim Carrey. Mais aussi au grand Philippe Caubère dont il est un admirateur.

Au delà de son talent de comédien, François de Brauer emporte l’adhésion du public par la finesse et l’intelligence de son propos. Son spectacle est formidablement écrit. Sans en avoir l’air, et avec humilité, il nous parle de choses profondes. Il incarne Simon, un jeune comédien confronté à un événement inattendu. Pour l’enterrement de son grand-père, qu’il a très peu connu, on lui demande de lire un texte religieux. Cette perspective ne l’enchante pas car il ne croit pas en Dieu. Il s’interroge sur la foi, sur le fait de ne croire en rien. S’enchaine alors une suite de conversations absurdes, ubuesques voire surréalistes avec divers membres de sa famille (sa mère, sa tante…). Une scène d’anthologie a lieu : dans la salle mortuaire où repose le corps du défunt, Simon entame un dialogue au delà de la vie et de la mort, totalement fou et inattendu. C’est osé. Le public en redemande car François de Brauer fait preuve d’une inventivité incroyable.

Le spectacle est hilarant de bout en bout, par exemple quand Simon nous raconte ses souvenirs d’enfance chez les scouts ou quand il nous parle de ses relations compliquées avec son metteur en scène… Touchant aussi, en creux, quand il évoque ses difficultés à aimer, de ses crises d’angoisse existentielles. Puis survient LA rencontre, avec une illuminée. Une bonne partie du spectacle est consacrée à la découverte par Simon, aux côtés de cette nouvelle amie, d’un univers inconnu, quelque peu irrationnel, magique, mais rempli de sincère bienveillance… Le rythme endiablé du spectacle ne retombe jamais. C’est une magnifique réussite.

Voir François de Brauer sur scène est un moment assez unique. Les amoureux du théâtre et du jeu ne seront pas déçus car la générosité, la drôlerie et l’intelligence sont au rendez-vous. Partout où se spectacle sera programmé dans les mois qui viennent, j’encourage tous mes lecteurs à aller le découvrir !

Le spectacle est programmé au Petit Saint Martin à partir du 3 mars 2022 !

By Heart

Texte et interprétation : Tiago Rodriguez

Spectacle programmé dans le cadre du Festival d’Automne

« By Heart » est une expérience de théâtre peu banale. C’est un moment plein d’humour, de malice mais aussi de partage. Tiago Rodriguez est un formidable passeur. Il partage sa passion pour les mots, pour la littérature, pour les livres et fait l’éloge du « par coeur ». Apprendre pour ne jamais oublier, pour toucher du doigt l’éternité, mais aussi pour vaincre toutes les oppressions, tous les totalitarismes. La forme du spectacle est légère, décontractée, mais le fond du propos est profond voire grave : face à tous les périls, la littérature est un refuge, un espace de liberté.

Tiago Rodriguez est seul quand les spectateurs pénètrent dans la salle de spectacle. Autour de lui, plusieurs chaises, des livres au sol ou empilés dans de petites caisses. Un dispositif original est proposé : dix personnes peuvent le rejoindre et s’amuser avec lui sur scène. Le moment est en effet très ludique. Les spectateurs courageux sont invités à apprendre par coeur les vers d’un très beau sonnet de Shakespeare… Les mots du poète résonnent, émeuvent déjà. Les participants se prennent au jeu, font l’expérience de cet exercice difficile qu’est le « par coeur ». Même si la mémoire peut parfois jouer des tours, les mots se fixent peu à peu. Tiago Rodriguez endosse avec humour le rôle du professeur, du répétiteur. Il évoque aussi des souvenirs personnels (le lien fort qu’il a entretenu avec sa grand-mère à la fin de sa vie), nous parle des auteurs qui comptent pour lui. Ses goûts éclectiques sont enthousiasmants : Georges Steiner, Boris Pasternak, Ray Bradbury, Joseph Brodsky. Il donne envie d’aller lire ou relire ces grands écrivains et fait aussi passer un message qui lui tient à coeur : il faut continuer à lire, à apprendre, à échanger, à partager, tout le temps, partout.

Ecrits sur le théâtre : Antoine Vitez, Peter Brook

Antoine Vitez et Peter Brook sont deux grands hommes de théâtre. Ils ont dédié leur vie à leur art et ont laissé une trace de leurs réflexions sur le jeu, la mise en scène dans plusieurs ouvrages. Leurs « écrits sur le théâtre » sont de véritables mines d’or pour les passionnés.

Antoine Vitez (1930-1990) est un acteur, un metteur en scène mais aussi un pédagogue qui très vite a souhaité transmettre. Il enseigne à l’école Jacques Lecoq, au théâtre des quartiers d’Ivry, au conservatoire national de Paris et tient une sorte de journal de bord de son travail. Ce journal témoigne d’une constante préoccupation, celle de trouver la meilleure manière de diriger les acteurs. La « méthode Stanislavski » est une grande source d’inspiration mais il sait aussi s’en détacher et avoir un regard critique. Pour Vitez, l’acteur doit avant tout être conscient du « jeu de leurres qu’il propose » . Le jeu théâtral est un art véritable. L’acteur est un artiste-créateur quand il sait être inventif, outrecuidant, quand il n’a pas peur de la démesure. Jouer, c’est être libre et l’acteur impliqué est celui qui dédie sa vie à cette quête de libération. Le maître (ou le metteur en scène) est celui qui accouche, qui indique une direction, sans imposer.

Les réflexions de Peter Brook dans « L’espace vide » (paru en 1977) tournent autour des mêmes thématiques. Le texte se veut plus théorique car l’auteur est en quête d’une définition du théâtre. Il distingue quatre familles : le théâtre rasoir, le théâtre sacré, le théâtre brut, le théâtre immédiat. Par ailleurs, son texte est nourri de nombreuses anecdotes personnelles car tout au long de sa carrière, jalonnée de succès et d’échecs, Peter Brook a expérimenté des formes théâtrales très variées. Cela rend son propos très concret. Il est passionné par le jeu, par la relation entre l’acteur et le metteur scène. Comme Vitez, il conçoit le jeu théâtral comme un véritable art, très difficile car reposant sur une remise en question permanente. Les techniques de base du jeu sont indispensables (et souvent, selon l’auteur, elles ne sont pas maitrisées) mais elles ne sont pas suffisantes car « un acteur créateur sera parfaitement capable de se défaire, le soir de la première, de ce que son travail préalable lui aura apporté de plus solide, parce qu’à l’approche de la représentation, un projecteur puissant, braqué sur sa création, lui en montre la pitoyable insuffisance » . Pour Peter Brook, un acteur doit savoir atteindre une forme de détachement et c’est la rencontre avec le public qui est déterminante. Sans cette rencontre, pleine de surprise et potentiellement décevante, un objet théâtral n’est pas achevé. Il a cette belle formule : « Le théâtre est semblable à une réaction chimique. Lorsque le spectacle est terminé, que reste t-il ? (…) Lorsque les émotions et le sujet d’un spectacle sont liés au plaisir du public de voir plus clair en lui-même, c’est alors que l’esprit s’enflamme. Restent gravés dans la mémoire du spectateur un schéma, une saveur, une ombre, une odeur, une image » . La beauté du geste théâtral tient sans doute à cette rencontre à chaque fois renouvelée et au fait qu’il est cet art fragile et éphémère mais aussi puissant.

Servir. La vocation de l’acteur Michel Bouquet. Entretiens avec Gabriel Duffay.

Éditions Archimbaud / Klincksieck

Qu’est-ce qu’un acteur ?

Michel Bouquet a, toute sa vie, défendu une vision exigeante de son métier qu’il a débuté très jeune, quasiment par accident. Gabriel Duffay, lui-même comédien et grand admirateur de son travail, le questionne sur sa carrière et sur les auteurs, les pièces, les rôles qui ont traversé sa vie. Dans chacune de ses réponses transparaît la conception qu’il a du théâtre, de son rôle dans la société.

Être acteur, c’est respecter une éthique, se mettre au service des grands auteurs qui, par leur génie propre et grâce à un travail acharné, ont mis les mots sur une part de vérité universelle, ont tenté d’offrir des réponses aux grandes questions qui habitent l’être humain. Le rôle de l’acteur est de faire comprendre au public cette part de vérité dont l’auteur a accouché. Chaque auteur a quelque chose d’unique qu’il faut respecter, qu’il faut mettre en évidence, qu’il faut servir avec la justesse nécessaire. Un acteur se doit ainsi d’être constamment curieux. Il doit aussi être autonome, faire preuve de caractère pour défendre sa vision du rôle qu’un metteur en scène lui a confié. En respectant cette éthique, la vérité cachée présente dans les textes peut éclater sur scène et toucher en plein cœur l’âme des spectateurs.

Les compagnons de vie de Michel Bouquet ont été Molière, Shakespeare, Ionesco, Anouilh, Camus, Bernhard, Pinter, Beckett. Au cinéma, il a incarné Renoir, Mitterrand, Javert… Chaque pièce, chaque rôle exigent de se mettre en quête. Une lecture sans cesse répétée, obsessionnelle du texte permet de se rapprocher de la vérité de l’auteur. Depuis des années, Michel Bouquet incarne, par exemple, le roi Bérenger dans Le Roi se meurt de Ionesco. Après des décennies de travail, il parvient encore à découvrir des facettes insoupçonnées, à creuser encore plus loin le sens profond de la pièce, à proposer une interprétation différente. Le travail de l’acteur est fait de cette perpétuelle remise en question. Michel Bouquet n’hésite pas à parler de l’esclavage que représente le fait d’avoir du talent dans le domaine du jeu. Dans le brouillard, sans avoir l’impression d’une quelconque maîtrise, loin de toute idée de contrôle, l’acteur continue de travailler avec cette seule et impérieuse obligation de respecter l’auteur et sa création.

Le témoignage de ce grand homme de théâtre est précieux et unique. Il a un temps transmis au conservatoire sa vision du métier. « J’aime cet art qui n’existe pas » dit-il. L’art de l’acteur est en effet bien difficile à cerner. Il demeure mystérieux et impalpable. Pour être capable de servir de grands auteurs et de grands textes, le travail et la persévérance sont bien sûr nécessaires. S’inspirer des aînés est aussi très important. Michel Bouquet a beaucoup admiré le travail de Louis Jouvet, de Charles Dullin, de Gérard Philippe. Il en parle avec émotion et soyons-lui reconnaissants de nous transmettre cette grande histoire du théâtre, dont il fait lui-même désormais partie.

L’art de l’acteur consiste à s’occuper des autres, en l’occurrence des auteurs, plus que de soi-même.

Le spectacle est quand même fait pour impressionner et permettre au cœur de se délivrer, pour que le spectateur puisse se dire : « Ah, quand même, je ne suis pas tout seul… »

Le rôle est plus fort que moi, la situation est plus forte que le dialogue, qui est une traîtrise, la plupart du temps. (…) C’est la situation qui dit tout.

Entrer en scène, c’est risquer de tomber, de ne plus savoir, chercher constamment la surprise, ne surtout pas donner le sentiment de la leçon apprise.

J’ai un amour énorme pour les grands auteurs, j’aime être avec eux. Je trouve qu’ils témoignent de la perfection humaine.