Un si petit oiseau / À quoi rêvent les étoiles

« Un si petit oiseau » de Marie Pavenko aux éditions Flammarion

« A quoi rêvent les étoiles » de Manon Fargetton aux éditions Gallimard Jeunesse

L’émotion est au rendez-vous des romans de Marie Pavlenko et Manon Fargetton parus respectivement en 2019 et 2020. Ils font tous les deux partie de la sélection du Défi Babelio.

Avec « Un si petit oiseau » , Marie Pavlenko aborde un sujet délicat, difficile voire gênant : l’amputation. Abi, sa jeune héroïne, voit sa vie bouleversée suite à un grave accident de voiture. Gravement blessée, elle perd son bras. Elle a 20 ans, sa vie s’écroule. Elle déménage, perd ses amis, abandonne ses études et son rêve de devenir vétérinaire. La douleur et surtout la honte deviennent son quotidien. Comment vivre avec ce membre manquant, comment accepter le regard des autres sur le moignon. Un long chemin de reconstruction psychologique est nécessaire. Abi a la chance d’être bien entourée. Sa famille (sa mère, son père, sa jeune soeur) est chamboulée par le drame, mais la vie continue. Entre rires et larmes, le roman offre une belle description des sentiments mêlés qui étreignent chacun des personnages. L’humour, très présent, est une arme efficace pour dédramatiser et pour rester dans la joie malgré tout. Abi renoue aussi avec un ami d’enfance, Aurèle. Une rencontre déterminante qui permet à la jeune femme de prendre le chemin de l’acceptation. L’ornithologie, la littérature, le cinéma sont des passions qui les unissent. Tout est fluide entre ces deux personnages, pas de place pour le jugement. Chacun fait un pas vers l’autre, et contre toute attente, l’amour s’invite…

Le livre de Manon Fargetton, « A quoi rêvent les étoiles » est un formidable roman choral. Cinq personnages principaux nous racontent une même histoire : Alix, Titouan, Armand, Gabrielle, Luce. Beaucoup de thèmes sont abordés : le travail de deuil, l’entrée dans l’âge adulte, la passion du théâtre… Avec beaucoup de talent, l’autrice tient en haleine le lecteur et construit petit à petit une histoire cohérente dans laquelle tous ces personnages, liés des uns aux autres, apprennent quelque chose sur eux-mêmes, évoluent, grandissent. Les dialogues sont brillants d’authenticité ; l’humour et l’émotion sans cesse se côtoient. Le personnage de Titouan, jeune lycéen, est particulièrement marquant : mal dans sa peau, il décide du jour au lendemain de vivre en ermite dans sa chambre, limite au maximum ses besoins. Au grand désarroi de ses parents, ce repli volontaire lui apparait comme la condition de sa survie. Il garde contact avec l’extérieur grâce à un jeu vidéo en ligne. La vie est moins compliquée quand tout est virtuel. Étonnamment, son téléphone va être le vecteur d’un grand bouleversement : totalement par hasard, il entre en contact par SMS avec Luce, qui vient de perdre son mari (le numéro de téléphone de son défunt mari lui a été attribué par erreur). S’engage entre eux une correspondance très étonnante et salvatrice pour tous les deux… Une des très belles idées de ce roman qui nous parle joliment du lien entre les générations, de transmission.

Eté 85

Film de François Ozon

Avec Félix Lefebvre, Benjamin Voisin, Philippine Velge

Date de sortie en France : 15 juillet 2020

Été 85, une station balnéaire normande… Dans une reconstitution soignée, François Ozon met en scène la rencontre de deux personnages que tout oppose : Alexis, 16 ans, est sérieux, rationnel, cérébral alors que David, à peine plus âgé que lui, est spontané, fonceur, irréfléchi. Des contraires qui s’attirent irrésistiblement. David exerce une fascination certaine sur Alexis grâce à son aisance relationnelle, son charme. Il sait donner de l’affection sans compter, fait tout pour séduire son nouvel ami. Une histoire d’amour naît et Ozon filme parfaitement ces moments de bonheur simples et purs que procurent les premiers amours, où l’on apprend tout l’un de l’autre, où tout est découverte et enchantement.

Alexis est un personnage touchant. Malgré ses doutes, il se frotte au réel. Il met ses peurs au placard, quitte à en souffrir. Il fait son expérience, vit intensément la joie puis la tristesse. Il grandit (il échappe au cadre trop resserré de la cellule familiale), se construit au contact de ce David qui révèle assez vite sa part sombre, beaucoup moins séduisante. Car David fait du bien à son compagnon, mais aussi du mal. Mais comment ne pas succomber, comment se protéger quand tout est nouveau? Sur son chemin il fait une autre rencontre importante : Kate, jeune fille au pair anglaise, est la confidente compréhensive et patiente dont il a besoin pour avancer.

Eté 85 est donc le récit d’un apprentissage, en accéléré. Vivre et grandir, c’est accepter de faire des erreurs, d’expérimenter la douleur de la perte, de se relever de ses échecs. Et aimer une personne, c’est la considérer pour ce qu’elle est réellement, et non pas chérir l’idée que l’on s’en fait. Alexis apprend ainsi à de méfier des histoires qu’il se raconte, des fantasmes illusoires. Il parvient à « échapper à son histoire » comme il le théorise si justement.

Cette histoire fulgurante est mise en scène de façon habile par François Ozon qui parvient tout au long du film à distiller du suspense autour du destin des deux protagonistes. Tous les personnages sont interprétés de façon très juste : Valéria Bruni-Tedeschi, mère de David, interprète formidablement l’exubérance et la toxicité. Isabelle Nanty et Laurent Fernandez, parents d’Alexis, sont au contraire tout en retenue face à l’évolution de leur fils. Ils acceptent ses choix et l’affection discrète qu’ils lui témoignent est émouvante. Le charme du film tient aussi à cette description subtile de milieux sociaux différents dans lesquels les sentiments ne s’expriment pas de la même manière.