La nuit du 12 / As bestas

Deux films à ne pas rater cet été : « La nuit du 12 » de Dominik Moll et « As bestas » de Rodrigo Sorogoyen ! Deux films assez différents mais qui ont pour point commun de tenir véritablement le spectateur en haleine. La prestation des actrices et acteurs est aussi remarquable !

« La nuit du 12 » relate l’histoire d’une enquête sur un fait divers atroce. Dans une petite ville de Savoie, en pleine nuit, alors qu’elle sort d’une soirée avec des amies, une jeune femme d’une vingtaine d’années est immolée par un individu masqué. La police judiciaire se met rapidement au travail. Très vite, plusieurs hommes sont soupçonnés. D’anciens amants, des connaissances plus ou moins proches. Tous sont interrogés, tous pourraient être l’auteur du crime mais l’enquête piétine… L’affaire hantera pendant de longs mois l’esprit du jeune commissaire (l’impressionnant Bastien Bouillon) qui, malgré beaucoup de professionnalisme et d’obstination, ne parvient pas à trouver le coupable… Le film est passionnant de bout en bout. La réalité du travail difficile et ingrat que représente une enquête policière est formidablement décrite. Le manque de moyens est criant et ne permet souvent pas de travailler assez rapidement. Le point fort du film est aussi de parler avec finesse de la place des femmes dans la société. Pourquoi cette jeune femme est-elle assassinée aussi sauvagement ? La question reste sans réponse mais il semble bien qu’une misogynie ordinaire soit à l’origine de ce crime. La liberté des femmes pose encore question de nos jours et c’est ce que montre le film de façon très subtile.

« As bestas » de Rodrigo Sorogoyen est un coup de maître. Comme dans son précédent film « Madre » , il parvient avec brio à installer une atmosphère extrêmement étouffante et un suspense prenant. Un couple de français (Denis Ménochet et Marina Foïs) est installé en Espagne dans un coin reculé de Galice. Ils sont exploitants agricoles et rénovent aussi de vieilles maisons qui tombent en ruine. Leur présence est diversement appréciée. Le couple est bien intégré mais doit faire face à l’hostilité de plus en plus pesante de leurs voisins directs, deux frères (eux aussi agriculteurs) qui vivent avec leur mère. L’incompréhension est totale, les tensions vont crescendo. Le couple résiste vaillamment aux intimidations, au racisme latent. Mais les choses deviennent de plus en plus graves… Le film est très intéressant car il décrit parfaitement le choc des cultures entre les nouveaux venus, anciens citadins bien intégrés socialement, et les gens du cru, aux moeurs beaucoup plus frustres et violentes. L’opposition entre ces deux mondes pourrait paraître caricaturale mais elle ne l’est pas. La nouveauté et le succès sont souvent synonymes de jalousie, de rancoeur voire de haine. Le film montre jusqu’à quel point (de non-retour) peuvent mener de tels sentiments. A noter la prestation de Marina Foïs dans ce film qui est d’une grande force. Son personnage, très digne face à l’adversité, est inoubliable.

Madre

Source image: cineverse.fr

Film de Rodrigo Sorogoyen

Avec Marta Nieto, Jules Porier, Anne Consigny, Alex Brendemühl

Date de sortie en France : 22 juillet 2020

Un simple appel téléphonique sur un portable et une vie bascule. C’est ce que filme dans un long et impressionnant plan-séquence Rogrigo Sorogoyen pour la scène d’ouverture de son nouveau film « Madre ». C’est la vie d’Elena, mère d’un petit garçon de six ans, dont il est question. Ce dernier l’appelle car il est seul et perdu sur une plage quelque part en France ou en Espagne, visiblement abandonné par son père qui l’a pourtant emmené avec lui en vacances. Il est en danger. Elena essaye de rassurer et de comprendre la situation mais c’est surtout l’impuissance qui prédomine. Puis vient l’angoisse étouffante et poignante.

Dix ans plus tard, Elena est serveuse dans un restaurant de bord de mer, à Vieux-Boucau dans les Landes. Elle s’y est installée depuis la disparition de son fils. Un nouvel homme partage sa vie. Il est plein d’amour et de compréhension et fait ce qu’il peut pour l’accompagner patiemment dans sa quête d’apaisement. Mais Elena est, semble t-il, toujours à la recherche du fils disparu. Le deuil n’est pas fait, et comment pourrait-il l’être? Sa tristesse est inconsolable malgré les années qui passent.

Intervient alors le personnage de Jean, jeune vacancier de 16 ans avec qui Elena va entretenir une relation ambiguë. Il a l’âge que devrait avoir son fils. Il est en pleine adolescence et teste avec candeur et naïveté son pouvoir de séduction. De son côté, Elena agit de façon surprenante en ne mettant pas beaucoup de limites à l’enthousiasme du jeune homme. Par ailleurs, elle le materne, apprécie de le voir évoluer en passant du temps avec lui. Le spectateur comprend que sa souffrance, encore à vif et non digérée, la fait agir de façon inappropriée. Le film est ainsi troublant et parfois dérangeant car le personnage d’Elena est souvent mutique et ses agissements paraissent mystérieux. Une scène résume bien ce malaise : la mère de Jean, jouée par Anne Consigny, vient boire un café dans son restaurant. Innocemment et sans agressivité, elle demande des comptes à Elena. Son comportement est-il responsable ?

Au bout du chemin, une forme de résilience. L’actrice Marta Nieto, bouleversante dans le rôle d’Elena, est à la hauteur du sujet. Car c’est bien le thème central que Rodrigo Sorogoyen veut aborder. Quels chemins tortueux faut-il parfois emprunter pour venir à bout de tourments que l’on croit éternels?