Elle et lui

Film de Leo McCarey

avec Irene Dunne, Charles Boyer…

1939

Quel plaisir de découvrir, un peu par hasard, un très beau film américain de 1939 dont le titre original est « Love affair ». Elle, c’est Terry, lui c’est Michel. Ils se rencontrent à bord d’un transatlantique, lieu ô combien romantique. C’est un lieu transitoire, hors du temps… Ni l’un ni l’autre ne sont libres car à New York les attendent celui et celle qu’ils doivent épouser. Pourtant, une attirance réciproque naît et, malgré la pudeur et le sens du devoir qui animent les deux personnages, elle ne fait que croître tout au long du voyage qui dure une dizaine de jours. A l’occasion d’une escale sur l’île de Madère, Terry fait la rencontre de la grand-mère de Michel et découvre de façon plus intime la vie de ce bel inconnu…

Le film possède un charme énorme. Le scénario est plein de surprises car une fois arrivés à New York, les deux personnages sont confrontés à plusieurs difficultés. Un deuxième film commence… Quant aux deux interprètes principaux, Irene Dunne et Charles Boyer, ils sont irrésistibles. Leur jeu est délicat, subtil. Ils savent mettre une petite dose d’humour, leurs yeux frisent et expriment beaucoup de choses.

Un vrai coup de coeur !

Le film a fait l’objet d’un remake dans les années 50, avec Cary Grant et Deborah Kerr, toujours réalisé par Leo McCarey !

Envies de lecture : Les éclats / La petite-fille

Deux livres, sortis tout récemment, me font très envie. Les nouveaux romans de Bret Easton Ellis « Les éclats » et de Bernhard Schlink « La petite-fille ».

Bret Easton Ellis est un auteur incontournable de la littérature contemporaine. « Moins que zéro », « Lunar Park », « American psycho » sont quasiment devenus des classiques. Un nouveau roman de l’écrivain californien est forcément un événement. Ses ouvrages fascinent, irritent, révulsent… Sans être un spécialiste, je crois que cet écrivain a su capter quelque chose du mal qui ronge les sociétés occidentales. Ses thèmes favoris : la vacuité, la violence, l’égoïsme… Son dernier livre « Les éclats » met en scène un personnage du nom de Bret, qui au début des années 80, se passionne pour l’écriture. Il rédige un roman intitulé « Moins que zéro »… Comme dans « Lunar Park », l’auteur semble jouer la carte de la vraie-fausse autobiographie. Cela m’intrigue…

« Le liseur » de Bernhard Shlink est un roman magnifique dont je conseille vivement la lecture. J’ai entendu beaucoup de bien de son nouveau livre « La petite-fille ». Kaspar est libraire à Berlin. Il découvre tardivement (suite au décès de son épouse) qu’une partie de sa famille lui est inconnue. En effet, sa femme avait abandonné un enfant en RDA avant de passer à l’ouest. Il tente de renouer le fil et fait ainsi la connaissance de sa fille Svenga et de sa petite fille Sigrund. Difficile de recréer un lien, d’autant plus que le fossé culturel et idéologique est immense… J’imagine que l’auteur explore les blessures et fractures de l’histoire contemporaine de l’Allemagne comme il l’avait fait dans « Le Liseur ». J’espère trouver le temps de me plonger dans ce livre très bientôt.

Les commentaires de celles et ceux qui ont lu l’un ou l’autre de ces livres sont les bienvenus !

4 3 2 1

Roman de Paul Auster

Editions Actes Sud

Date de parution en France : 2018 (Traduction de Gérard Meudal)

« 4 3 2 1 » est un livre hors du commun. Ce roman est un tour de force littéraire dans lequel le lecteur se plonge avec bonheur. Car le projet de Paul Auster est en effet assez incroyable : raconter la vie d’un personnage, Ferguson, de quatre manières différentes. Un seul personnage mais quatre destins. Réunis en un seul roman.

Comme beaucoup d’histoires américaines, tout commence à Ellis Island, point d’arrivée de millions d’immigrés européens. Le grand-père du héros a quitté les confins de l’Europe centrale pour tenter sa chance en Amérique. Il surmonte beaucoup de difficultés mais parvient à s’y installer, à construire un foyer. Archie Ferguson, le petit-fils, naît quelques décennies plus tard. L’auteur se concentre sur l’enfance, l’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte de ce personnage, sorte de double littéraire qui vit donc quatre existences différentes. A quoi tient le destin d’un homme ? Aux choix personnels, aux rencontres, à la fatalité, au hasard, à la chance… De façon vertigineuse, l’auteur nous parle de la fragilité de toute vie humaine. Nous sommes tous ballottés par des événements qui nous dépassent : que surviennent un divorce, un décès prématuré, un fait divers, une histoire d’amour, le déclenchement d’une guerre et nos vies prennent un chemin auquel nous n’étions pas forcément préparés…

Un point commun toutefois dans ces quatre destins singuliers : le goût de la chose littéraire. Ferguson est passionné par les grands auteurs et par l’écriture. Il devient apprenti écrivain ou bien journaliste. Il a la chance de partir à Paris pour assouvir sa passion pour les poètes français ou il couvre, pour le journal de son université, les manifestations étudiantes et les blocages qui on lieu à Columbia. A New York, il fait éditer de façon confidentielle ses écrits avant-gardistes. A Londres, grâce à ses relations, il rencontre un grand éditeur qui l’aide à lancer sa carrière de jeune écrivain prometteur… La vie est pleine de surprises et de bifurcations possibles.

Comment de pas tomber amoureux de New York en lisant Paul Auster ? La ville est l’un personnages principaux de « 4 3 2 1 » . Harlem, Greenwich Village, Broadway, l’Upper West Side et tant d’autres endroits sont la toile de fond de cette quadruple histoire passionnante et addictive. L’auteur aime sa ville et la rend familière à ses lecteurs. On a envie d’y aller pour flâner à Central Park ou boire un café dans les quartiers étudiants. Paul Auster est un auteur prolifique : « Brooklyn Follies« , « Cité de verre » , « Moon Palace » et beaucoup d’autres livres mettent New York à l’honneur. J’ai hâte de les découvrir.

Sidérations

Roman de Richard Powers

Editions Actes Sud

Date de sortie en France : septembre 2021 (traduction de Serge Chauvin)

Le nouveau roman de Richard Powers est passionnant. L’auteur réussit l’exploit d’aborder une multitude de sujets : la relation père-fils, les ravages du réchauffement climatique, le processus de deuil, l’exploration de l’univers… Théo Byrne est astrobiologiste. Universitaire reconnu, il est spécialiste des exoplanètes. Passionné de Science-Fiction depuis son plus jeune âge, il a trouvé dans cette profession une manière de faire coïncider rêve et réalité. Grâce aux progrès fulgurants en matière d’observation de l’espace lointain, son but est de faire la découverte d’astres inconnus. Son imaginaire est peuplé de planètes plus différentes les unes que les autres. Il les décrit avec beaucoup de détails à son jeune fils de neuf ans Robin avant le coucher du soir. Ces moments à deux sont importants pour ces deux êtres blessés. En effet, Théo et Robin tentent de survivre au drame de la disparition brutale d’Aly. Théo est veuf, Robin orphelin de mère.

La relation père-fils est centrale dans le récit. Théo fait ce qu’il peut pour apaiser le chagrin de Robin. Les troubles du comportement de ce dernier laissent le père démuni. A l’école, Robin est sans cesse en décalage, ne parvient pas à s’intégrer au groupe. Il se pose beaucoup de questions sur la survie de l’humanité, est révolté par l’inaction des politiques dans le domaine environnemental. Sa mère était une militante acharnée de la cause écologique, une combattante à l’énergie débordante. Il se connecte à elle en poursuivant le combat.

L’un des aspects les plus troublants du récit de Richard Powers réside dans cette relation au-delà de la mort qui unit Robin à sa mère. En effet, son père Théo refuse que la tristesse et l’agitation de son fils soit traitée de façon médicamenteuse. Il accepte qu’un traitement révolutionnaire lui soit administré. Robin bénéficie donc de plusieurs séances d’IRM dans lesquelles l’intelligence artificielle tient un rôle majeur. Robin apprend à gérer ses émotions et à développer son empathie. Les progrès du jeune garçon sont fulgurants. Il s’apaise, contrôle de mieux en mieux sa colère. Ce programme lui permet aussi de se connecter aux émotions passées de sa mère…

« Sidérations » est donc un récit qui aborde des domaines à la fois scientifiques, politiques, psychologiques. Cette histoire est aussi pleinement inscrite dans l’actualité. L’inquiétude voire la rage du jeune Robin face à la destruction des écosystèmes fait écho aux nombreuses manifestations menées de nos jours partout dans le monde par de jeunes militants écologistes. Greta Thunberg est clairement une source d’inspiration pour Richard Powers. L’espoir d’un monde meilleur est grand. Les planètes lointaines qu’aiment observer et imaginer Théo et son fils sont une façon d’échapper au marasme. C’est aussi une manière de prendre conscience de l’incroyable beauté de la planète Terre, et de sa fragilité.

Nomadland

Film de Chloé Zhao

avec Frances McDorman, David Strathairn, Charline Swankie

Date de sortie en France : 9 juin 2021

« Nomadland » est un nouveau coup de maître de la jeune réalisatrice Chloé Zhao après le très beau et bouleversant « The Rider » sorti en 2018. Il est porté par la prestation incroyable de Frances MacDorman.

Le film dépeint le monde des nomades, souvent en âge d’être à la retraite, qui enchaînent les petits boulots saisonniers dans divers Etats des Etats-Unis (Dakota, Nebraska, Californie…). La restauration dans des lieux touristiques, les travaux agricoles, les missions dans les entrepôts d’Amazon… Les corps sont sollicités durement. Les traits fatigués du visage de Frances MacDormand disent beaucoup de la vie terriblement difficile de ces travailleurs pauvres qui continuent une vie de labeur alors qu’ils devraient avoir la chance de vivre tranquillement, d’avoir accès enfin à un peu de repos. Ils vivent dans leur van, parcourent des milliers de kilomètres tout au long de l’année… Ils ne sont chez eux nulle part.

Fern, le personnage joué par MacDormand, est courageuse mais rien n’est caché de la dureté de la vie qu’elle mène. Un sourire illumine parfois son visage car cette existence, de façon étonnante, est aussi choisie. L’attrait pour la solitude, les chagrins et les deuils qui la hantent, le passé qui l’empêche d’avancer sont autant de raisons qui semblent la pousser à continuer à vivre de cette manière… Toutefois, aucun auto-apitoiement ni misérabilisme. Ces nomades forcent le respect car ils restent dignes. L’amour, l’amitié, la solidarité sont les carburants qui permettent de tenir.

La magnificence des paysages de l’Ouest américain offre un contraste saisissant avec la misère des vies humaines. La facette sombre du rêve américain est, une nouvelle fois, montrée dans sa réalité crue.

Le complot contre l’Amérique

Philip Roth

Editions Gallimard

Paru en France en 2004 (Traduction de Josée Kamoun)

La Deuxième Guerre Mondiale vue à hauteur d’enfant, c’est ce que nous propose Philip Roth dans son roman « Le complot contre l’Amérique » paru en 2004. Il le fait de façon très originale car il propose à ses lecteurs une uchronie. Il modifie et réécrit l’Histoire de ce fait majeur du XXème siècle et aborde par ce biais des thèmes qui lui sont chers, notamment la place de la communauté juive aux Etats-Unis.

Son approche est saisissante : il imagine en effet la victoire du célèbre aviateur Charles Lindberg à l’élection présidentielle américaine en 1940. Le message principal de sa campagne est simple : ne pas intervenir dans le conflit mondial déclenché par le régime Nazi allemand et les forces de l’Axe. Ce non-interventionniste assumé s’accompagne d’un discours aux accents nationalistes. « America First » en est le slogan. Franklin Delano Roosevelt est chassé du pouvoir.

Si Philip Roth imagine un destin présidentiel à Lindberg, ce n’est pas un hasard. Ce dernier s’est illustré dans les années 30 par une accointance coupable avec le régime hitlérien. En 1936, il reçoit des mains de Göring une décoration officielle, l’Ordre de l’Aigle allemand. Il ne cache pas sa sympathie voire son admiration pour le Führer. Ces faits réels inspirent Roth

La narrateur a 9-10 ans, il s’appelle Philip Roth. Il nous raconte l’arrivée au pouvoir de Lindberg, le retentissement que cet événement a sur le cours de l’Histoire mais aussi, et surtout, les répercussions intimes au coeur de sa propre famille. Car tous ses membres, bien que juifs, ne sont pas sur la même ligne. Des conflits éclatent, les tensions sont vives. L’auteur montre que la communauté juive n’est pas unie face au péril que représente cette proximité du président avec le régime hitlérien. L’auteur fait bien comprendre que la non-intervention des Etats-Unis dans les affaires du monde est un débat qui transcende les appartenances religieuses ou politiques.

Le propre frère du narrateur, Sandy, n’est pas hostile au fait de travailler au service du nouveau président. Le personnage d’Alvin, cousin de Philip, occupe aussi une place importante dans le récit. Il s’engage très tôt pour aller combattre au sein des troupes canadiennes, auprès des forces alliées. Il revient gravement blessé, amputé d’une jambe. Pour le jeune Philip, la vue de ce membre amputé devient objet de fascination autant que de dégoût. Il comprend que la guerre est tragique, qu’elle mutile, qu’elle détruit… Mais le pacifisme exacerbé est-il une solution acceptable ? N’est-il pas synonyme de repli sur soi, d’indifférence…? Ces questions sont passionnantes et éternelles. Elle ont aussi des résonances étonnamment contemporaines après les quatre années de présidence de Donald Trump qui a scandé tout au long de son mandat que les intérêts des Américains passaient avant toute autre considération.

Comme à son habitude, Roth propose une histoire souvent drôle, truculente, bourrée d’anecdotes. Il s’amuse dans cet exercice osé de réécriture historique et sait merveilleusement mêler récit intime et récit politique. C’est toujours un plaisir de retrouver cette plume si alerte !

J’ai consacré un article à un autre grand roman de Roth, Le théâtre de Sabbath

Colère en Louisiane

Roman de Ernest J. Gaines

Éditions Liana Levi

Date de parution en France : 1989 (traduction : Michelle Herpe-Voslinsky)

Le racisme dans le sud des États-Unis a une longue histoire. C’est l’histoire de la domination d’un monde sur un autre, c’est l’histoire d’une violence institutionnelle, celle de l’esclavage et de la ségrégation. Blancs et noirs vivent dans les mêmes villes, les mêmes campagnes mais c’est la méfiance, le rejet, la haine qui sont à la base des rapports humains.

Au moment où débute l’histoire que nous raconte Ernest J. Gaines, le système ségrégationniste n’a plus cours. C’est une époque révolue. Les lois sur les droits civiques votées dans les années 60 ont marqué une étape essentielle pour la reconnaissance de l’égalité entre tous les citoyens américains. Pourtant, au fin fond de la Louisiane, au cœur des plantations de cannes à sucre, les mentalités n’ont pas encore évolué, loin de là. Pour certains, la fin du système traditionnel n’est pas acceptable.

Le récit est axé sur le mystère qu’entoure le meurtre d’un habitant de cette campagne éloignée. C’est un blanc, exploitant agricole, qui est abattu. De bout en bout, le roman pose ces questions lancinantes : qui a tué cet homme ? Quelles sont les circonstances de sa mort ? Quel en est le motif ? Ce crime fait scandale car celui qui est mort n’est pas n’importe qui. Les soupçons se portent sur les noirs qui travaillent sur la plantation. De façon astucieuse, ils s’organisent pour se défendre collectivement. Au delà de la résolution de cet assassinat, il s’agit pour eux d’affirmer leur dignité et d’être forts face aux représailles qui menacent. Car face à eux se trouvent les tenants de l’ordre ancien pour qui le lynchage est la solution. C’est en effet ainsi, par le déchaînement d’une violence extrême, que pendant des siècles était réglé ce genre de problème. Une tension parcoure tout le roman : quelle justice doit être appliquée ? Celle qui accorde des droits aux noirs ou celle qui fait référence au passé ségrégationniste ?

Grâce à une construction narrative très originale, l’auteur nous présente le point de vue de tous les protagonistes, et ils sont nombreux. De chapitre en chapitre, c’est un narrateur différent, noir ou blanc, qui prend la parole. Cette diversité est passionnante. Elle nous permet de percevoir la complexité des rapports entre dominants et dominés, leur évolution au fil du temps. L’histoire de l’esclavage est en arrière-fond et on comprend à quel point le racisme quotidien est enraciné et vivace malgré les années qui passent. Ernest J. Gaines rend émouvant le combat pour la dignité mené par cette communauté noire qui refuse de voir ses droits piétinés, qui ose prendre la parole. Toute son œuvre rend compte de cette lutte acharnée.

Continents à la dérive

Roman de Russell Banks

Éditions Actes Sud

Date de parution en France : Mai 2016 (traduction : Pierre Furlan)

Rêver d’une autre vie, aspirer à une existence différente, meilleure… Les États-Unis est le pays de tous les possibles, dit-on. Les protagonistes du roman de Russell Banks aspirent à un futur radieux mais ils incarnent aussi de façon cruelle la part sombre de ce rêve américain. Ces personnages tentent de s’extraire de leur condition, souhaitent conquérir une liberté que leur vie ne leur offre pas. Mais quel est le prix à payer pour atteindre cette liberté tant recherchée ?

Bob Dubois est insatisfait de sa vie de réparateur de chaudière dans le New Hampshire, état du nord des États-Unis. Marié, père de deux enfants, il vivote, s’ennuie. Le manque d’argent, les frustrations quotidiennes et l’impression confuse d’être prisonnier d’une existence qu’il n’a pas vraiment choisie le poussent à accepter la proposition de son frère Eddie. Il quitte tout et part le rejoindre en Floride pour devenir son associé dans des affaires qu’il espère florissantes. Bob et sa famille déchantent très vite. Le quotidien est dur, ingrat. Le soleil du sud n’efface pas la misère et des difficultés du quotidien. Russell Banks rend saisissante la prise de conscience de Bob de s’être à nouveau fait avoir par le destin. L’auteur nous parle de façon subtile des souffrances intérieures d’un homme perdu qui ne voit jamais se concrétiser les rêves et les fantasmes qui nourrissent son imaginaire. Le sol se dérobe sous les pieds de Bob, le sort s’acharne sur lui car ses choix l’enferment, malgré lui, dans un cercle vicieux.

En Haïti, la vie est très dure. La misère économique, les ouragans, la terreur politique rendent le quotidien angoissant. De nombreux haïtiens fuient leur pays et tentent de rejoindre les Bahamas et les côtes américaines de Floride. Parmi eux, un jeune adolescent et sa tante, Claude et Vanise, et le bébé de cette dernière. Russell Banks décrit de façon détaillée les différentes étapes de la migration des haïtiens par voie maritime. Là aussi, la réalité est faite de mensonges, de tromperie, d’escroquerie de la part de passeurs cyniques. Pour atteindre leur objectif coûte que coûte et parce qu’ils n’ont pas réellement d’alternatives, Claude et Vanise vont subir les pires humiliations. L’auteur ne veut rien cacher de ce que peuvent représenter l’exploitation de l’homme par l’homme et la bassesse de ceux qui exploitent la misère d’autrui. La cupidité en est la source première. La démonstration faite par Russell Banks est crue et dérangeante mais aussi poignante.

Le roman est ainsi construit de façon virtuose autour de ces deux récits dans lesquels sont explorées deux réalités très différentes mais qui racontent le même désir de tout risquer pour aller vers une vie meilleure. Au bout du compte, alors que rien n’aurait jamais du les faire se rencontrer, Bob, Claude, Vanise et son bébé font partie d’une même histoire. Une histoire tragique. Le génie de l’auteur est de parvenir à créer un lien entre ces personnages si différents. Ils n’ont pas la même mentalité, la même culture, les mêmes croyances, n’ont pas vécu les mêmes choses, mais leur humanité, leur fragilité, leurs espoirs les réunissent et font d’eux des figures universelles.

Les thématiques abordées par Russell Banks sont d’une actualité brûlante. La crise migratoire n’a jamais été aussi forte. Aux portes des États-Unis ou de l’Europe, les drames sont quotidiens. De façon criante, l’auteur dénonce la misère, les inégalités qui en sont le terreau. L’épilogue du roman contient cette phrase pleine de colère qui éclaire le sens qu’a voulu donner l’écrivain à son ouvrage : « Va, mon livre, et contribue à détruire le monde tel qu’il est. »

Bilan de l’année 2020. Coups de cœur littéraires

Des nouveautés enthousiasmantes, des valeurs sûres qui ne déçoivent jamais, des thèmes qui me sont chers… Voici une sélection de quelques ouvrages qui ont enchanté mon année !

Trois nouveautés, trois réussites indéniables :

J’ai adoré Héritage de Miguel Bonnefoy ! Le style est enlevé, brillant. Le roman se dévore. Dans un format assez court (206 pages), l’auteur nous embarque dans une passionnante saga familiale entre France et Chili.

Nos espérances de Anna Hope est un autre grand coup de cœur. Beaucoup de finesse psychologique et d’intelligence dans ce roman qui rend très bien compte du temps qui passe, de la vie qui avance pour tout le monde, des amitiés qui évoluent. Les trois principaux personnages, Hannah, Lissa et Cate, sont formidables. Une lecture addictive comme on les aime !

Négar Djavadi, après Désorientale en 2016, nous régale avec son nouveau roman Arène. Dans un récit nerveux et palpitant, elle nous parle des ratés de la politique de la ville, de la montée des communautarismes, de l’influence délétère des réseaux sociaux. Notre modernité hyper-connectée n’en ressort pas grandie. Un coup de maître.

Des valeurs sûres dont on ne se lasse pas :

Timothée de Fombelle est un auteur de littérature jeunesse incontournable. Ces romans et nouvelles (Tobie Lolness, Vango, Le Livre de Perle, Victoria rêve…) sont à chaque fois de petits bijoux. Son style magnifique est au service de récits passionnants et sensibles. Sa dernière création aborde avec beaucoup d’intelligence la tragédie du commerce d’esclaves orchestré par les Européens entre l’Afrique et l’Amérique. Alma. Le vent se lève est un livre important car tous les protagonistes (esclaves, négriers, simples matelots…) nous font percevoir la complexité de cette histoire qu’il faut, encore et toujours, faire connaître au plus grand nombre.

Lointain souvenir de la peau de Russel Banks a été une autre lecture marquante. Cet auteur m’avait séduit avec De beaux lendemains. Son style est inimitable car direct et sec. Sans tabous, il pointe du doigt les failles de nos sociétés contemporaines : la misère sous toutes ses formes (économique, sociale, sexuelle), l’isolement, le repli sur soi. C’est dérangeant mais passionnant.

Richard Powers est un auteur américain majeur dont j’ai découvert l’œuvre avec beaucoup d’intérêt. Le temps où nous chantions est un roman puissant, une dénonciation fine de l’absurdité du racisme. Ce sont aussi cinquante années d’Histoire des États-Unis qui nous sont contées de façon brillante. Un autre roman captivant à découvrir : L’Arbre-Monde.

Sur le thème du racisme :

Cette année a été marquée par le mouvement Black Lives Matters. La lecture d’un livre m’a particulièrement marqué et aidé à en comprendre le sens et l’ampleur. C’est celui de Ta-Nehisi Coates intitulé Une colère noire. Lettre à mon fils. C’est un témoignage très fort et très rude sur la réalité du racisme aux États-Unis. Beignets de tomates vertes de Fannie Flag aborde aussi ce sujet douloureux. Grâce à une histoire très émouvante et pleine de tendresse, l’autrice emporte l’adhésion. Ce thème me passionne et j’ai très envie de découvrir, en 2021, l’œuvre de Toni Morrison, de Ernest J. Gaines, de Brit Bennett et de bien d’autres auteurs.

Arène de Négar Djavadi et Betty de Tiffany McDaniel

Un coup de cœur et une déception

La rentrée littéraire est l’occasion, chaque année, de découvrir les œuvres d’auteurs inconnus ou confirmés, d’aller à la rencontre de thématiques ancrées dans l’actualité ou de partir en voyage dans des contrées lointaines. J’ai décidé cette année de porter mon choix sur deux titres très différents : « Arène » de Négar Djavadi (éditions Liana Levi) et « Betty » de Tiffany McDaniel (éditions Gallmeister).

« Désorientale », le premier roman de Négar Djavadi paru en 2016, m’avait passionné pour pleins de raisons. La modernité du propos m’avait séduit car servie par un style percutant. J’ai retrouvé avec bonheur les mêmes qualités dans « Arène ». J’ai dévoré les 425 pages de ce roman qui met en scène une impressionnante et très réaliste galerie de personnages ancrés dans leur époque. Nous sommes à Paris, dans l’Est de la capitale, quartiers Belleville, Colonel Fabien, Jaurès. Un monde en soi, tiraillé par de nombreuses fractures sociales et culturelles, merveilleusement décrit par l’auteure. C’est à l’intérieur de ce Paris populaire, loin des attractions touristiques, que les personnages, issus de tous les milieux, se croisent, se percutent, s’ignorent, s’épient. Tout commence par un banal fait divers (le vol d’un téléphone portable) et tout s’enchaîne de façon implacable. Négar Djavadi nous parle des ratés de la politique de la ville, de la montée des communautarismes, de l’influence délétère des réseaux sociaux, de la violence endémique. L’engrenage dans lequel tous sont enferrés fait l’objet d’un récit nerveux et palpitant dans lequel notre modernité hyper-connectée n’en ressort pas grandie. Un coup de maître.

« Betty » est le deuxième roman de la jeune auteure américaine Tiffany McDaniel. C’est l’histoire de la jeunesse de sa propre mère qu’elle nous raconte. Betty est la « petite indienne » car elle est issue d’un métissage. Son père est Cherokee et, dès son plus jeune âge, il la berce de légendes indiennes, l’éduque aux bienfaits de la nature et l’initie à ses mystères. C’est une figure aimante, rassurante. Tout le contraire de sa mère qui, non guérie des blessures de l’enfance, apporte beaucoup d’insécurité dans le foyer. Betty a de nombreux frères et soeurs. Ils affrontent tous la vie et ses difficultés chacun à sa façon. Ils tentent de survivre à l’hostilité ambiante, au racisme omniprésent, mais aussi et surtout aux perversités qui existent au sein même de la famille. C’est un vase-clos qui nous est décrit et je l’ai trouvé, pour ma part, très étouffant. La relation entre Betty et son père est très belle et apporte même beaucoup de poésie à l’histoire. Mais j’ai été assez déçu par le manque d’ampleur du propos. Le roman se résume pour moi à la description d’une famille dysfonctionnelle dans laquelle il est bien difficile de trouver la clé du bonheur.