
Philip Roth
Editions Gallimard
Paru en France en 2004 (Traduction de Josée Kamoun)
La Deuxième Guerre Mondiale vue à hauteur d’enfant, c’est ce que nous propose Philip Roth dans son roman « Le complot contre l’Amérique » paru en 2004. Il le fait de façon très originale car il propose à ses lecteurs une uchronie. Il modifie et réécrit l’Histoire de ce fait majeur du XXème siècle et aborde par ce biais des thèmes qui lui sont chers, notamment la place de la communauté juive aux Etats-Unis.
Son approche est saisissante : il imagine en effet la victoire du célèbre aviateur Charles Lindberg à l’élection présidentielle américaine en 1940. Le message principal de sa campagne est simple : ne pas intervenir dans le conflit mondial déclenché par le régime Nazi allemand et les forces de l’Axe. Ce non-interventionniste assumé s’accompagne d’un discours aux accents nationalistes. « America First » en est le slogan. Franklin Delano Roosevelt est chassé du pouvoir.
Si Philip Roth imagine un destin présidentiel à Lindberg, ce n’est pas un hasard. Ce dernier s’est illustré dans les années 30 par une accointance coupable avec le régime hitlérien. En 1936, il reçoit des mains de Göring une décoration officielle, l’Ordre de l’Aigle allemand. Il ne cache pas sa sympathie voire son admiration pour le Führer. Ces faits réels inspirent Roth
La narrateur a 9-10 ans, il s’appelle Philip Roth. Il nous raconte l’arrivée au pouvoir de Lindberg, le retentissement que cet événement a sur le cours de l’Histoire mais aussi, et surtout, les répercussions intimes au coeur de sa propre famille. Car tous ses membres, bien que juifs, ne sont pas sur la même ligne. Des conflits éclatent, les tensions sont vives. L’auteur montre que la communauté juive n’est pas unie face au péril que représente cette proximité du président avec le régime hitlérien. L’auteur fait bien comprendre que la non-intervention des Etats-Unis dans les affaires du monde est un débat qui transcende les appartenances religieuses ou politiques.
Le propre frère du narrateur, Sandy, n’est pas hostile au fait de travailler au service du nouveau président. Le personnage d’Alvin, cousin de Philip, occupe aussi une place importante dans le récit. Il s’engage très tôt pour aller combattre au sein des troupes canadiennes, auprès des forces alliées. Il revient gravement blessé, amputé d’une jambe. Pour le jeune Philip, la vue de ce membre amputé devient objet de fascination autant que de dégoût. Il comprend que la guerre est tragique, qu’elle mutile, qu’elle détruit… Mais le pacifisme exacerbé est-il une solution acceptable ? N’est-il pas synonyme de repli sur soi, d’indifférence…? Ces questions sont passionnantes et éternelles. Elle ont aussi des résonances étonnamment contemporaines après les quatre années de présidence de Donald Trump qui a scandé tout au long de son mandat que les intérêts des Américains passaient avant toute autre considération.
Comme à son habitude, Roth propose une histoire souvent drôle, truculente, bourrée d’anecdotes. Il s’amuse dans cet exercice osé de réécriture historique et sait merveilleusement mêler récit intime et récit politique. C’est toujours un plaisir de retrouver cette plume si alerte !
J’ai consacré un article à un autre grand roman de Roth, Le théâtre de Sabbath