Maggie et Tony
A Angkor, un homme seul déambule au milieu des ruines. Il s’arrête, a trouvé ce qu’il est venu chercher. Debout devant un immense vestige khmer, il glisse dans le creux d’une pierre l’histoire qu’il vient de vivre. Cet amour impossible, ce désir inassouvi, il s’en délivre par des mots chuchotés. Une musique entêtante enrobe avec douceur cette scène ultime… Noir, le film est fini.
Pendant tout le temps du générique, Antoine savoure cette sensation d’extase que suscite la beauté. Ce qu’il vient de vivre, il le sait déjà, n’a pas de précédents dans sa jeune existence de cinéphile. Il a du mal à quitter la salle, son corps est comme empesé. Pendant deux heures, il s’est senti chez lui…
Dès le début du film, il a eu comme un pressentiment. Le visage de l’héroïne, jouée par Maggie Cheung, le fascine. Quelque chose dans ses yeux, d’inquiet, de triste même, le capte d’emblée. Que dire de sa robe, sublime, de sa coiffure, impeccable ? Son partenaire de jeu, Tony Leung, est lui aussi beau, élégant, énigmatique. Les deux protagonistes éblouissent l’écran tant ils sont mis en valeur par la caméra de Wong Kar-waï. Dans le Hong-Kong des années 60 sublimé par des décors et des lumières splendides, les deux personnages se croisent et se recroisent, leurs corps se frôlent au hasard de rencontres fortuites. Leurs regards disent tout de ce qu’ils s’interdisent de dire. Esseulés car délaissés par leurs conjoints respectifs, ils se reconnaissent. Leur mélancolie, leur solitude mais aussi leurs hésitations sont déchirantes. Un morceau de violoncelle lancinant accompagne à plusieurs moments du film leur valse amoureuse. Il parle mieux de leurs émois cachés qu’un long dialogue.
« In The Mood For Love » est un choc esthétique pour Antoine. Comme les héros du film, il tombe amoureux… du cinéma. Il a vingt ans, va dans les salles obscures deux ou trois fois par semaine. Sa nouvelle liberté d’étudiant lui permet d’assouvir enfin son goût pour les grands films trop longtemps refréné. Pour la première fois sans doute, il réalise que la profondeur d’un récit et la beauté formelle peuvent magnifiquement se conjuguer et produire chez le spectateur des émotions très fortes. Les regards de Maggie et Tony l’accompagneront longtemps.
Plus de vingt ans après ce premier visionnage, Antoine se réjouit de revoir en salle ce film si marquant. Les années ont passé. Amour impossible, désir inassouvi : ces thématiques auront-elles aujourd’hui le même écho dans son cœur ? Les lumières s’éteignent. Antoine est de retour à Hong Kong, chez lui.