
Roman de Russell Banks
Éditions Actes Sud
Date de parution en France : Mai 2016 (traduction : Pierre Furlan)
Rêver d’une autre vie, aspirer à une existence différente, meilleure… Les États-Unis est le pays de tous les possibles, dit-on. Les protagonistes du roman de Russell Banks aspirent à un futur radieux mais ils incarnent aussi de façon cruelle la part sombre de ce rêve américain. Ces personnages tentent de s’extraire de leur condition, souhaitent conquérir une liberté que leur vie ne leur offre pas. Mais quel est le prix à payer pour atteindre cette liberté tant recherchée ?
Bob Dubois est insatisfait de sa vie de réparateur de chaudière dans le New Hampshire, état du nord des États-Unis. Marié, père de deux enfants, il vivote, s’ennuie. Le manque d’argent, les frustrations quotidiennes et l’impression confuse d’être prisonnier d’une existence qu’il n’a pas vraiment choisie le poussent à accepter la proposition de son frère Eddie. Il quitte tout et part le rejoindre en Floride pour devenir son associé dans des affaires qu’il espère florissantes. Bob et sa famille déchantent très vite. Le quotidien est dur, ingrat. Le soleil du sud n’efface pas la misère et des difficultés du quotidien. Russell Banks rend saisissante la prise de conscience de Bob de s’être à nouveau fait avoir par le destin. L’auteur nous parle de façon subtile des souffrances intérieures d’un homme perdu qui ne voit jamais se concrétiser les rêves et les fantasmes qui nourrissent son imaginaire. Le sol se dérobe sous les pieds de Bob, le sort s’acharne sur lui car ses choix l’enferment, malgré lui, dans un cercle vicieux.
En Haïti, la vie est très dure. La misère économique, les ouragans, la terreur politique rendent le quotidien angoissant. De nombreux haïtiens fuient leur pays et tentent de rejoindre les Bahamas et les côtes américaines de Floride. Parmi eux, un jeune adolescent et sa tante, Claude et Vanise, et le bébé de cette dernière. Russell Banks décrit de façon détaillée les différentes étapes de la migration des haïtiens par voie maritime. Là aussi, la réalité est faite de mensonges, de tromperie, d’escroquerie de la part de passeurs cyniques. Pour atteindre leur objectif coûte que coûte et parce qu’ils n’ont pas réellement d’alternatives, Claude et Vanise vont subir les pires humiliations. L’auteur ne veut rien cacher de ce que peuvent représenter l’exploitation de l’homme par l’homme et la bassesse de ceux qui exploitent la misère d’autrui. La cupidité en est la source première. La démonstration faite par Russell Banks est crue et dérangeante mais aussi poignante.
Le roman est ainsi construit de façon virtuose autour de ces deux récits dans lesquels sont explorées deux réalités très différentes mais qui racontent le même désir de tout risquer pour aller vers une vie meilleure. Au bout du compte, alors que rien n’aurait jamais du les faire se rencontrer, Bob, Claude, Vanise et son bébé font partie d’une même histoire. Une histoire tragique. Le génie de l’auteur est de parvenir à créer un lien entre ces personnages si différents. Ils n’ont pas la même mentalité, la même culture, les mêmes croyances, n’ont pas vécu les mêmes choses, mais leur humanité, leur fragilité, leurs espoirs les réunissent et font d’eux des figures universelles.
Les thématiques abordées par Russell Banks sont d’une actualité brûlante. La crise migratoire n’a jamais été aussi forte. Aux portes des États-Unis ou de l’Europe, les drames sont quotidiens. De façon criante, l’auteur dénonce la misère, les inégalités qui en sont le terreau. L’épilogue du roman contient cette phrase pleine de colère qui éclaire le sens qu’a voulu donner l’écrivain à son ouvrage : « Va, mon livre, et contribue à détruire le monde tel qu’il est. »