Bleu nuit

Roman de Dima Abdallah

Sabine Wespieser Editeur

Année de parution : 2022

Quel beau et puissant livre que « Bleu nuit » , deuxième roman de l’auteure française d’origine libanaise Dima Abdallah. Au coeur de ce récit, un homme au bord du gouffre qui livre au lecteur un monologue poignant. A travers ses mots, il est question de mémoire (traumatique), d’oubli, de pardon.

Qui est cet homme ? Il a une cinquante d’années, vit reclus dans son appartement parisien, souffre de tocs et de manies. Un jour, au lendemain d’un enterrement important auquel il n’a pas pu assister, il décide de braver ses peurs les plus profondes et de sacrifier son confort matériel pour vivre volontairement dans la rue. Il devient SDF par choix. Cette nouvelle vie est éprouvante car il connaît le froid, la faim, le manque de tout. Pourtant, il s’en accommode assez facilement car il semble vouloir se punir de quelque chose. La radicalité de son choix interroge. Pourquoi s’infliger un tel sort ? Pourquoi rajouter de la souffrance à la souffrance ?

Etonnamment, vivre dans la rue est aussi la source de petits bonheurs inattendus. Un chien, nommé Minuit, apporte la chaleur et l’affection dont le narrateur a tant besoin. Les autres moments de joie et de réconfort sont liés à des rencontres. Dans le 20ème arrondissement qu’il connaît si bien (au cimetière du Père Lachaise, autour de la place Gambetta, dans de nombreuses petites rues qu’il arpente jour après jour), son regard est à l’affût et croise celui de plusieurs femmes : Emma, Martha, Carla, Layla… Ces femmes vivent, elles aussi, une existence cabossée par les épreuves. La proximité est immédiate bien que très peu de mots ne soient, la plupart du temps, prononcés. Un sourire, un geste de remerciement valent plus qu’un grand discours. Layla, elle-même SDF, occupe une place singulière dans cette passionnante galerie de personnages. Avec elle, ce sont les odeurs (de jasmin, de crème hydratante qu’elle applique sur ses mains) qui sont essentielles. Pour le personnage principal, elles convoquent un passé très douloureux, des souffrances enfouies…

Le bleu, qui donne son titre au roman, est présent de bout en bout : le bleu éclatant d’une étoffe, le bleu profond de la mer, le bleu nuit du mystère. Le mystère plane en effet sur ce récit et l’émotion est au rendez-vous car Dima Abdallah construit son roman de façon formidablement subtile. Le livre est, par ailleurs, parsemé de références littéraires passionnantes : Kundera, Proust, Baudelaire, Céline, Duras et bien d’autres sont cités. Tous ces auteurs ont exploré à leur manière le sujet qui est au coeur de « Bleu nuit » : les souvenirs du passé qui encombrent le présent.

.

« Je marche sur un fil. Je suis le funambule sur le fil tendu au-dessus des abysses de la mémoire »

« J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans, mais j’enterre chacun d’eux, l’un après l’autre, dans les cimetières de l’oubli »

By Heart

Texte et interprétation : Tiago Rodriguez

Spectacle programmé dans le cadre du Festival d’Automne

« By Heart » est une expérience de théâtre peu banale. C’est un moment plein d’humour, de malice mais aussi de partage. Tiago Rodriguez est un formidable passeur. Il partage sa passion pour les mots, pour la littérature, pour les livres et fait l’éloge du « par coeur ». Apprendre pour ne jamais oublier, pour toucher du doigt l’éternité, mais aussi pour vaincre toutes les oppressions, tous les totalitarismes. La forme du spectacle est légère, décontractée, mais le fond du propos est profond voire grave : face à tous les périls, la littérature est un refuge, un espace de liberté.

Tiago Rodriguez est seul quand les spectateurs pénètrent dans la salle de spectacle. Autour de lui, plusieurs chaises, des livres au sol ou empilés dans de petites caisses. Un dispositif original est proposé : dix personnes peuvent le rejoindre et s’amuser avec lui sur scène. Le moment est en effet très ludique. Les spectateurs courageux sont invités à apprendre par coeur les vers d’un très beau sonnet de Shakespeare… Les mots du poète résonnent, émeuvent déjà. Les participants se prennent au jeu, font l’expérience de cet exercice difficile qu’est le « par coeur ». Même si la mémoire peut parfois jouer des tours, les mots se fixent peu à peu. Tiago Rodriguez endosse avec humour le rôle du professeur, du répétiteur. Il évoque aussi des souvenirs personnels (le lien fort qu’il a entretenu avec sa grand-mère à la fin de sa vie), nous parle des auteurs qui comptent pour lui. Ses goûts éclectiques sont enthousiasmants : Georges Steiner, Boris Pasternak, Ray Bradbury, Joseph Brodsky. Il donne envie d’aller lire ou relire ces grands écrivains et fait aussi passer un message qui lui tient à coeur : il faut continuer à lire, à apprendre, à échanger, à partager, tout le temps, partout.