Vivre de mes rêves. Lettres d’une vie / La solitude Caravage

Deux lectures, très différentes, font mon bonheur en ce moment. La correspondance d’Anton Tchekhov réunie dans un très bel ouvrage joliment intitulé « Vivre de mes rêves. Lettres d’une vie » (Editions Robert Laffont) et une biographie (ou essai biographique) du Caravage par Yannick Haenel (Editions Fayard).

Anton Tchekhov écrivit un nombre incalculable de lettres tout au long de sa vie. Il s’adresse à sa famille, à ses amis, à ses contacts professionnels… Le lecteur découvre mille et un détails de la vie du jeune médecin dont la vocation littéraire s’affirme d’années en années. Tchekhov est un homme drôle, facétieux, moqueur, exigeant… C’est aussi la vie quotidienne en Russie qui est décrite en filigrane : les séjours à la campagne, les voyages en train, les rites religieux,… L’univers de l’écrivain, qui est passé à la postérité, transparaît dans quasiment chaque lettre. On y découvre aussi la description de nombreux personnages hauts en couleur qui ont sûrement été une source d’inspiration pour le dramaturge.

Yannick Haenel est un auteur que j’adore. Le livre « La solitude Caravage », qu’il a fait paraître en 2019, est un petit bijou. Il y décrit sa passion dévorante pour l’œuvre du grand peintre italien. Cette passion naît à l’adolescence, période pendant laquelle le jeune Yannick se morfond dans un pensionnat sinistre. Il se réfugie dans les livres et découvre un jour la beauté vénéneuse d’une femme peinte au XVIè siècle par Le Caravage. Il s’agit d’une figure biblique, celle de Judith. Cette image l’ensorcelle, lui fait connaître ses premiers émois érotiques. Dans de courts et passionnants chapitres, l’auteur tente de percer les secrets du génie. Yannick Haenel sait merveilleusement partager l’amour qu’il porte à ce peintre en quête d’absolu. La vie incroyablement romanesque du Caravage (plusieurs fois emprisonné, courtisé par les plus grands princes de son époque…) est passionnante mais c’est surtout la force de son art qui est mise en avant. L’auteur nous offre une réflexion captivante sur l’acte de création.

Dora Maar

Dora Maar

Exposition du Centre Pompidou à Paris

Du 5 juin au 29 juillet 2019

Dora Maar n’a pas seulement été la muse de Pablo Picasso. Sa vie a été bien plus riche et remplie que l’on croit. C’est ce que veut montrer l’exposition qui lui est consacrée au Centre Pompidou.

Elle débute sa carrière au début des années 30 après des études artistiques dans les domaines des arts décoratifs, de la photographie et du cinéma. Son histoire est celle d’une émancipation par l’art, et c’est à la photographie qu’elle se consacre dans un premier temps. Toute la première partie de l’exposition est consacrée à ses premiers travaux pour la mode et la publicité. La période est celle de l’essor de la presse illustrée. Elle travaille pour des revues littéraires, des revues de charme et se met aussi au service de marques, encore connues aujourd’hui, comme Pétrole Hahn ou Ambre Solaire. Le point commun de ces différentes réalisations est de mettre en avant la beauté féminine. Un modèle, Assia, attire particulièrement l’attention. Dora Maar la photographie nue à de nombreuses reprises, dans des clichés d’une grande sensualité. Assia Granatouroff est appréciée par de nombreux peintres et photographes de l’époque et fait pleinement partie de ce Paris artistique si foisonnant des années 30 auquel Dora Maar réussit à s’imposer.

La vie de Dora Maar est marquée par de nombreuses rencontres. Elle travaille et se lie d’amitié avec Jacques Prévert, Jean Cocteau, Paul Eluard, Yves Tanguy… Comme eux, elle épouse les causes politiques de l’époque en s’engageant à l’extrême-gauche. Son militantisme est visible dans son travail. Elle se rend en Espagne dans une période de profonds bouleversements politiques (la République espagnole est proclamée en 1931) et photographie la ville de Barcelone. Elle va aussi Londres où elle s’intéresse à la vie dans la rue, et aussi dans la Zone de Paris, immense bidonville qui entourait la ville à l’époque. Dans ces déambulations urbaines, son travail s’apparente à un travail journalistique.

Ces années 30 sont aussi celles du mouvement surréaliste auquel Dora Maar participe pleinement. Entre 1934 et 1936, elle produit une vingtaine de collages et photomontages dans lesquels elle explore son inconscient et différents thèmes comme l’érotisme, le sommeil, le monde de la mer… Avec « Portrait d’Ubu » (qui représente ce que l’on devine être un tatou), Dora Maar pénètre même dans le monde de l’étrange et du fantastique où les frontières entre l’humain, l’animal et le végétal sont brouillées.

La rencontre avec Picasso a lieu pendant l’hiver 1935-1936. Elle devient sa compagne, sa muse et leurs échanges intellectuels et artistiques sont féconds pendant les huit années de leur relation. Elle est présente par exemple au moment de la création de Guernica dont elle photographie les différentes étapes de réalisation. Elle est représentée par la suite dans de nombreux portraits qui feront sa renommée. La peinture prend une place de plus en plus importante dans sa vie. Elle réalise des portraits de Picasso ou l’influence cubiste est évidente.

Au sortir de la guerre, elle est reconnue en tant que peintre. Elle se retire peu à peu dans une vie solitaire, proche de la nature. Ses œuvres en témoignent : paysages abstraits, natures-mortes. Pendant de longues années, elle poursuit ses recherches artistiques, sans exposer son travail. Dans les années 80, elle revient même à la photographie, sa discipline première. Sa vie s’achève en 1997, une vie consacrée à l’art, entre ombres et lumières.