Connemara

Roman de Nicolas Mathieu

Editions Actes Sud

Date de parution : Février 2022

Région Grand Est. Deux personnages : Hélène et Christophe. La quarantaine. Ils se sont connus il y a bien des années, au moment de l’adolescence. La vie les fait se retrouver (la « magie » des réseaux sociaux), un lien se crée à nouveau. Chacun de leur côté, ils ont construit une famille : Hélène est en couple avec Philippe, père de ses deux enfants ; Christophe est lui aussi papa mais ne vit plus avec Charlie, la mère de son fils. Un sentiment diffus d’insatisfaction les étreint. Hélène et Christophe se cherchent. Une relation, inattendue, se noue et leur offre un peu d’évasion… Le roman de Nicolas Mathieu peut-il se résumer ainsi : une analyse de la crise de la quarantaine et de l’irrémédiable usure du couple ? Pas seulement.

Car l’auteur porte aussi (et avant tout) un regard acéré et passionnant sur l’époque : le monde du monde du travail et sa dureté, la charge mentale des femmes qui travaillent et élèvent leurs enfants, la prise en charge de parents vieillissants,… Grâce à 1001 détails, Nicolas Mathieu rend extrêmement réaliste le quotidien de ses personnages. Son roman est terriblement humain quand il évoque, par exemple, l’amour fou que porte le père de Christophe pour son petit-fils Gabriel ou quand il décrit les retrouvailles clandestines des deux personnages principaux dans un café populaire à Epinal, lieu chargé de souvenirs où Christophe a ses habitudes.

Les souvenirs ont une place centrale dans ce roman qui mêle sans cesse passé et présent. L’auteur revient notamment, à de nombreuses reprises, sur la période charnière de l’adolescence. En effet, Hélène et Christophe viennent du même endroit, sont issus du même milieu social… Pourtant, quand ils se retrouvent, ils constatent une distance. Comment l’expliquer ? L’école et les réussites scolaires ont joué un rôle : Hélène a des facilités qui lui ont permis de faire de brillantes études après le bac. Christophe, lui, s’est investi à fond dans le sport, a épousé le rêve de devenir hockeyeur professionnel. Des choix, des orientations qui déterminent beaucoup de choses : pour Hélène, la découverte d’un autre monde (à l’étranger, à Paris), l’apprentissage de codes sociaux différents, l’accès à une forme d’aisance financière ; pour Christophe, les petits boulots, un univers géographique étriqué, les soirées alcoolisées avec les potes d’enfance…

Le regard que porte Nicolas Mathieu sur le destin des deux personnages est lucide et assez cruel. Est-il réellement possible de faire fi des différences de statut social ? Quand on parvient à sortir de son milieu d’origine, quel rapport entretient-on avec ceux qui y sont restés ? « Connemara » aurait pu être un roman intellectuel sur les transfuges de classe, embourbé dans un vocabulaire sociologique pesant. Au contraire, l’auteur construit pas à pas, sur près de 400 pages, une histoire très humaine et émouvante. C’est aussi un roman politique : par petites touches, l’auteur décrit le désenchantement et les désillusions de toute une partie de la population en prise avec les difficultés du quotidien. Ancré dans la réalité de l’époque, « Connemara » fait réfléchir sur les fractures de la société française. C’est l’un de ses grands mérites.